Roger Odin vient de nous quitter le 22 août 2023 dans sa ferme de la Haute-Loire. Il a été le premier Professeur en Études cinématographiques nommé en France, au DERCAV de la Sorbonne Nouvelle en 1983. Maître-assistant à l’université de Saint-Etienne de 1978 à 1982, il venait de soutenir en 1982 une thèse d’État sur L’Analyse sémiologique des films, vers une sémio-pragmatique, qui sera publiée en 1990 sous le titre Cinéma et production du sens. Il dirigera le DERCAV de 1985 à 1987 et jouera un rôle décisif dans la structuration des groupes de recherches en créant l’IRCAV en 1988, qu’il dirigera jusqu’en 2004 lors de son départ à la retraite. Il fonde la revue Théorème dont l’objectif initial est de publier de jeunes chercheurs, comme en témoigne le premier numéro coordonné par Michèle Lagny en 1990 sur « Luchino Visconti, classicisme et subversion », suivi de beaucoup d’autres.

 

Entre 1987 et 2012, il dirigera 41 thèses de doctorat, depuis celle de Geneviève Sellier sur Jean Grémillon jusqu’à celle de Mathieu Capel sur les Cinéastes japonais face à la haute croissance, 1956-1973. De 1984 à 2018, il participe à 80 jurys de thèses.

 

En 1997, il participe à la création de l’AFECCAV et en devient secrétaire adjoint avec Geneviève Sellier, sous la présidence d’André Gardies. Il interviendra aux journées d’études de l’association en octobre 1999 à Paris 1 sur « l’approche langagière des images aujourd’hui ».

 

Mais Roger Odin a joué un rôle clef pour les études cinématographiques et audiovisuelles au niveau national en obtenant la création de diplômes nationaux de licence et maîtrise et l’ouverture d’options dans les classes de seconde, première et terminale dans l’enseignement secondaire.

 

Dès sa nomination en 1984 jusqu’en 1994, il participe avec Pierre Baqué au Ministère de l’Education Nationale à la rédaction des projets visant à la reconnaissance institutionnelle du cinéma comme matière d’enseignement. Ces textes amènent la mise en place d’un enseignement du cinéma et de l’audio-visuel dans le secondaire et à l’université. En 1988, il est nommé responsable de la commission chargée de l’élaboration de la maquette des Licences et Maîtrises d’études cinématographiques et audiovisuelles, puis expert à la direction de la recherche pour le secteur « Art et Communication ». Bien évidemment, la maquette des diplômes (licence et maîtrise) s’appuie largement sur le programme pédagogique développé au sein du DERCAV entre 1976 et 1982 avec ses axes disciplinaires : l’esthétique, les théories et l’histoire, l’économie et la sociologie, le cinéma et les médias audiovisuels. L’intitulé « cinéma et audiovisuel » explicite la relation entre les deux domaines, intégrant les médias audiovisuels et les catégories telles que le cinéma amateur, les films documentaires, les films de famille, le cinéma expérimental. Les textes officiels encouragent l’interdisciplinarité et la relation théorie-pratique.

 

Pendant cette période, Roger est également membre de la COSEAC, commission interministérielle liant le MEN et le Ministère de la culture, chargée du suivi des enseignements de cinéma et audiovisuel.

 

Entre 1990 et 1996, il dirige la collection Cinéma et audiovisuel chez Armand Colin et publie douze titres importants qui deviendront des manuels de référence pour les étudiants, tels La Comédie musicale hollywoodienne, par Rick Altman ; Introduction à la couleur : des discours aux images, par Jacques Aumont ; Cinéma et Marché, par Laurent Creton ; De l’histoire du cinéma. Méthode historique et histoire du cinéma, par Michèle Lagny ; Télévision, culture, éducation, par Louis Porcher ; enfin une version remaniée de sa thèse d’État, Cinéma et production de sens.

 

Dans les années 2000, il publie deux nouveaux livres approfondissant ses hypothèses antérieures, De la fiction (De Boecque, 2000) dans lequel il analyse le désir de fiction et le processus de « fictionnalisation », et Les Espaces de communication. Introduction à la sémio-pragmatique (Presses universitaires de Grenoble, 2011), son dernier livre personnel revenant sur la discipline qu’il a créée auparavant. Il faut y ajouter les ouvrages collectifs qu’il a dirigés ou codirigés, s’appuyant sur les travaux collectifs des groupes de recherches : Le film de famille, usage privé, usage public (Méridiens-Klincksieck, 1995) ; L’Âge d’or du documentaire. Europe, années cinquante (L’Harmattan, 1998) ; Les Européens dans le cinéma américain : émigration et exil (Presses de la Sorbonne Nouvelle, 2004) ; Téléphone mobile et création, avec Laurence Allard et Laurent Creton (Armand Colin, 2014).

 

Par ailleurs, Roger était lui-même cinéaste amateur et réalisateur de films institutionnels : un film pédagogique pour la télévision scolaire en 1973 sur le langage cinématographique, deux documentaires collectifs en 1970 et 1976 sur les Jeux d’hiver pour handicapés physiques, huit films en 16 mm de 1964 à 1981, six films en vidéo de 2008 à 2020, de Faire revivre la Béate de Treyches jusqu’à son dernier film expérimental réalisé pendant le confinement, Méfiez-vous de la crypte.

 

Comme l’a rappelé Emmanuel Siety, actuel directeur de l’IRCAV, dans son hommage à Roger dans le blog de l’Institut : « Des générations d’étudiants et d’enseignants-chercheurs ont été marqués non seulement par ses travaux de recherche mais aussi et surtout pour ses qualités humaines et son immense générosité intellectuelle. Devenu professeur émérite en 2004, il n’avait pas cessé de s’impliquer dans la vie de l’équipe de recherche et d’y jouer un rôle moteur. Créée en 2004 au sein de l’IRCAV, la « chaire Roger Odin » de l’université Sorbonne Nouvelle continuera d’accueillir des chercheurs du monde entier travaillant dans le champ dont il aura été l’un des pionniers. »

 

Un parcours exceptionnel d’un homme au sourire inoubliable.

 

Michel Marie, le 4 septembre 2023